Peut-on parler littérature en temps de guerre ? par Leslie Péan en collectif

Peut-on parler littérature en temps de guerre ? par Leslie Péan en collectif

  • Par Eddy Cavé, Leslie Péan, Robert Berrouet-Oriol, Tony Piquion, Gerta Pilate, Guylène Salès
  • collaboration spéciale avec International Diplomat Canada

La question est pertinente. Nous répondons immédiatement par l’affirmative et nous souhaitons du succès aux professionnels du livre et autres membres de l’intelligentsia du pays et de la diaspora qui organisent cette foire du livre à New York les 10 et 11 juin 2023. Nous disons donc “oui” à ces travailleurs de la pensée tout en leur demandant de tendre la main aux jeunes femmes et hommes qui ont répondu à l’appel de cette courageuse femme de Delmas 33 pour lancer le mot d’ordre “Bwa Kale” à la capitale. Une femme portée disparue aux mains des assassins et qui casserole à la main sonnait la générale pour qu’Haïti ne devienne pas « un territoire perdu » dans son intégralité comme l’a déclaré hypocritement l’actuelle ministre de la Justice en référence à certains quartiers tels que Village de Dieu aux mains des gangs.

Ces jeunes exigent la mise sur pied d’un véritable État de droit dont la tâche fondamentale est d’assurer la sécurité de la population. Continuant les pratiques criminelles des tontons macoutes des Duvalier, l’État de bandi légal s’est mis à saisir les biens des citoyens, à les kidnapper pour exiger des rançons et à semer la terreur en tuant indistinctement. Cette situation macabre maintenue par un gouvernement en carton a alarmé le reste du monde qui s’est prononcé dans nombre d’instances internationales pour trouver une solution qui tarde à se concrétiser pendant que ‘Rome brûle’.

Rappelons aux vrais amis d’Haïti que la contribution des étrangers ne doit pas être en deçà de celle du jacobin Sonthonax en 1796 qui avait donné aux nouveaux libres 20 000 fusils neufs en leur disant à chacun d’eux : “celui qui t’enlèvera ce fusil voudra te rendre esclave”. Réelle ou laconique, cette déclaration renvoie à un symbole clair. À cette étape, l’utilité et la nécessité du mouvement Bwa kale ne font aucun doute. Cette forme de résistance populaire au terrorisme et à l’insécurité des gangs, alliés naturels du pouvoir en place, a pour mission de ne pas se transformer en parti Bois kale et en son avatar mortifère et dégénéré, le parti Tèt kale, scatologie triomphante de la continuité du macoutisme. Si le slogan Bois kale a une résonance dans des secteurs démocratiques et populaires, il n’en demeure pas moins un langage plutôt irrespectueux et grivois. Il importe de signer ses ambitions d’une nouvelle Haïti en faisant la rupture avec la vulgarité du Parti Tèt kale du discours martellyen.

Les écrivains de la rencontre du 10 et 11 juin 2023 à New York pourraient y réfléchir et proposer une gamme d’autres slogans à ce mouvement de résistance populaire à l’arme blanche qui demeure novateur. Le soutien au mouvement de résistance populaire peut s’exprimer différemment avec la même détermination sur le fond, mais nuancée sur la forme. Le même esprit de lutte contre la zombification doit présider dans la rue, avec les partisans de l’ombre que chez ceux qui accompagnent cette levée populaire avec leur poche, leur plume et leur parole. Le feu d’artifice n’est pas complet quand il manque le bouquet que les intellectuels apportent à la cause populaire.

Les efforts pour réclamer le droit à la vie du peuple haïtien s’appuient sur les luttes de toutes les catégories sociales agressées par les ‘bandi legal’ et obligées de se défendre par tous les moyens à leur disposition contre les agressions d’un gouvernement, issu du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste, qui roule et ondule pour les gangs. Ce camouflage ne peut plus continuer. On y retrouve le masque des macoutes, le plumage de celui du CNG du massacre des électeurs de la ruelle Vaillant et les mêmes visages des pouvoirs populistes qui jalonnent la vie nationale depuis le départ forcé des Duvalier. Tout à la fois, on retrouve les traits et répertoires de ces pouvoirs antérieurs.

Il importe aujourd’hui à la diaspora, contribuant pour plus d’un tiers de la richesse nationale et aux intellectuels, d’entrer dans le combat “Bwa kale” avec des machettes d’un autre ordre à la main. Il est nécessaire d’organiser un large mouvement de soutien sous toutes ses formes à cette révolte d’une irrésistible puissance qui a fait tache d’huile. Aussi convions-nous nos chers écrivains de l’intérieur et de l’extérieur à armer la musicalité de leurs lettres en commençant par adopter et publier une résolution à laquelle les soussignés apposent d’ores et déjà leurs signatures, manifestant ainsi le début d’une participation plus active à ce feu qui brûle pour purifier les esprits trop longtemps maintenus dans la peur, la répression et la mort.

Comme nos boat people le savent trop bien, le bateau haïtien voyage dans la nuit et a besoin de tous les sémaphores pour éviter les égarements. La respiration de la pensée exige des horizons nouveaux loin des étranges concordances qui animent souvent un « calbindage » de la parole. Dans la dimension “Bwa kale”, amorçons les perspectives d’unité avec un peuple qui fait éclater à l’infini ses justes revendications, et qui rejaillira dans toutes les communes avec ses machettes. Démontrons notre amour du peuple en donnant tout son sens au “Bwa kale” pour concilier l’action et la pensée.

collaboration spéciale International Diplomat Canada

Le Paris diplomatique / ISSN 2563-818X (En ligne) – ISSN en cours (Imprimé)