LIBAN : 2006 Une Guerre Préméditée Aux Lourdes Conséquences
- OPINION – par Tarek Daher
La guerre de 2006 au Liban a été déclenchée suite à une opération militaire du Hezbollah contre une patrouille de l’armée israélienne aux abords Aïta el-Chaab, dans la zone frontalière du Sud Liban séparant les deux pays. Cette attaque a abouti à la mort de huit soldats et la capture de deux autres soldats israéliens. Pour le Hezbollah, l’opération armée perpétrée aux abords des fermes de Chebaa avait pour but principalement de libérer tous les prisonniers libanais enfermés dans les geôles israéliennes. Cet objectif était depuis fort longtemps repris dans tous les principaux discours du secrétaire général du Hezbollah qui ont précédé cette opération. Il n’avait cessé de dire qu’à la moindre opportunité, il chercherait à libérer ses prisonniers.
À la suite de cette opération armée menée par la résistance, et dans les heures qui ont suivi, Israël décide de lancer l’opération « Juste Rétribution » renommée depuis « Changement de Direction », qui s’est étendue principalement sur les régions à dominance chiite (Liban Sud, Bekaa). Cette opération était menée, par voies aérienne, terrestre et maritime. Le pont de Zahrani donnant accès au Sud fut totalement détruit par l’aviation israélienne dans les 2 heures qui ont suivi l’opération du Hezbollah. Dans la foulée Israël lance ses troupes à Maroun al Ras a la lisière des deux frontières, l’idée étant d’occuper le plus rapidement possible le plus de territoire en moins de temps possible.
Seules les régions du Chouf, fief traditionnel des Druzes ainsi que celles du nord furent épargnées.
Pour Israël, le but de cette guerre avait 3 grands objectifs :
- Le premier était d’éradiquer et de détruire définitivement les implantations et les structures du Hezbollah au Sud-Liban principalement, et à la Bekaa. Ces installations étaient capables de tirer de nombreux missiles de longue portée pouvant atteindre le cœur d’Israël en cas de conflit.
- Le second objectif était la libération sans condition des deux prisonniers israéliens entre les mains du Hezbollah.
- Le dernier était de repousser le Hezbollah au-delà du fleuve AWALI au nord de la ville de Saïda.
Pour la résistance libanaise, l’idée était de libérer tous les prisonniers libanais se trouvant dans les geôles israéliennes.
Les conséquences de cette opération militaire a coûté pour certains très cher au Liban pour certains, pour d’autres les dégâts occasionnés en valaient la peine par rapport au résultat final.
- Plus de 1 000 morts civiles, dont près de 30 % ayant moins de 12 ans
- Plus de 4000 Blessés civils
- Plus d’un million de déplacés.
- Une très grosse partie des infrastructures du pays est détruite
- Des quartiers résidentiels entiers dans la banlieue sud de Beirut, rasés par l’aviation israélienne principalement.
- On a recensé près de 15000 logements détruits ou endommagés
- Selon plusieurs Organisations des droits de l’homme, des opérations militaires menées dans certains villages du Sud Liban peuvent être qualifiées de crimes de guerre.
- Officiellement, le Hezbollah, une soixantaine de ces combattants, 60 de ses partisans, il se pourrait que ce chiffre avoisine les 250 selon des responsables officieux.
Pour les Israéliens, les conséquences de cette guerre semblent moins lourdes que celles établies pour le Liban, et elles se traduiraient de la façon suivante :
- 39 civils tués suite aux bombardements par des missiles du Hezbollah
- Au moins 110 soldats israéliens morts au combat.
- Pas moins de 500 blessés recensés.
- Pas moins de 4, 4 milliards de dollars pour les efforts de guerre
Suite à la Guerre de 2006, un tracé connu sous le nom de LIGNE BLEUE fut établi en 2000 par les Nations Unies suite à l’évacuation de l’Armée d’occupation israélienne d’une grande partie du Liban Sud. Pour rappel, l’occupation israélienne date de 1967. Les Nations Unies ont voulu par ce tracé, délimiter la frontière entre le Liban et Israël. Les fermes de Chebaa furent exclues de cette ligne bleue et restèrent sous contrôle israélien en attendant une future solution globale avec l’État syrien.
Pour rappel, dans les années 1930, lors de la délimitation des frontières du Liban avec la Syrie par les forces mandataires, ce territoire avait été placé par erreur en territoire syrien. Il faut aussi reconnaître qu’après l’indépendance du Liban en 1943, aucun effort n’avait été fait pour rectifier cette « anomalie ». C’est ainsi qu’en 2000, à la faveur du retrait militaire israélien, les Nations Unies ont placé ce territoire « les fermes de Chebaa » sous souveraineté syrienne et par ce fait dépendant des résolutions 242 et 338 – respectivement votées suite aux occupations israéliennes de 1967 et 1973 – et hors de la juridiction de la résolution 425 (1978) relative à l’occupation du Sud Liban. Cette bande de montagne située aux confins du territoire syro-libano-israéliens a une superficie d’environ 50 km2 avait été partiellement occupée par Israël en 1967 lors de la guerre sur le Golan syrien puis la zone avait été progressivement agrandie aux dépens du Liban et fortifiée en tant que lieu stratégique au double plan de ses ressources naturelles (eau) et militaires (hauteurs dominant la région).
Suite à ce tracé de la LIGNE BLEUE, Le Liban a déposé auprès des Nations Unies une liste de points de litige concernant sa frontière et Israël. Pour le Gouvernement libanais, « Les fermes de Chebaa », les sept villages libanais (Terbikha, Saliha, Malkiyeh, Nabi Yusha, Kadès, Hounine et Al Qamah) qui sont toujours sous occupation israélienne depuis 1967 ainsi que les hauteurs de Kfarchouba font partie intégrante du territoire national libanais. Il faut surtout ne pas oublier que depuis ce tracé, la frontière maritime entre le Liban et Israël est aussi en litige. Aujourd’hui des discussions sous l’égide des Nations Unies sont en cours afin de les délimiter. Pour le Gouvernement libanais, Israël s’est emparé illégalement de plus de 900 km2 du territoire maritime libanais riche en hydrocarbure. Le Liban a officiellement déposé auprès des Nations Unies, une plainte demandant de rectifier les erreurs et litiges afin de récupérer dans son entièreté les territoires qui sont toujours sous occupation par Israël.
Rappelons aussi que l’occupation des 7 villages du Sud Liban par l’État israélien date depuis 1967. Les guerres de 1948, de 1956 et de 1967 furent entre l’État libanais (qui faisait partie de la Coalition arabe) et les Israéliens. Celles de 1978 et de 1982 amenèrent la création d’un mouvement de résistance ayant pour but unique de libérer l’entièreté du territoire national. L’Armée libanaise ne s’est pas impliquée officiellement depuis 1978, car n’ayant pas les capacités militaires.
Ce mouvement de résistance qui s’est formé, était composé principalement du mouvement AMAL, du parti communiste libanais, du Parti National Bass Syrien, et du Hezbollah. C’est en 1983 qu’il a vu le jour, ses débuts furent balbutiants avant de prendre forme et de grandir au fil des ans. Ce n’est qu’à partir des années 1990 que le Hezbollah devient l’un des principaux acteurs de la résistance et ne cessera de grandir au fil du temps sous les auspices de la République islamique iranienne. Les Israéliens sous les coups de boutoir continus durent plier bagage et se retirèrent en mai 2000 d’une grande partie du Liban Sud gardant les fermes de Chebaa, les sept villages ainsi que les hauteurs de Kfarchouba. La résistance dès lors considérera que la lutte continuera jusqu’à ce que l’entièreté du territoire national soit libérée. Les gouvernements libanais qui se sont succédé confirment cette tendance dans chacune de leur déclaration ministérielle mentionnant le fameux triptyque, Armée, Peuple, Resistance. Les différents gouvernements donnèrent depuis cette date, le mandat officiel à la résistance de continuer la lutte pour la libération du sol libanais de toute occupation.
Il est donc logique que la résistance armée puisse continuer sa lutte contre cette occupation, vu que légalement elle est officiellement mandatée. Sans oublier que l’histoire nous a appris que toute résistance se forme pour s’opposer à une occupation d’un pays par des forces étrangères. A-t-on oublié que l’Europe en général, la France en particulier a résisté contre l’occupation nazie. Tout comme eux, le Liban par son mouvement de résistance a combattu, et combat l’occupation, et c’est son droit universel que nul ne peut contester.
La guerre de 2006 ou encore appelée la guerre de 33 jours ne fait pas exception. Les autorités israéliennes n’ont cessé de présenter l’offensive comme orientée ‘contre le Hezbollah et non contre l’État libanais’. Pourtant il apparaît très clairement dès les premiers rapports « d’Human Rights Watch » d’août 2006 que les bombardements n’ont fait aucune discrimination entre les civils et forces armées. La quasi-majorité des civils qui ont péri durant la guerre des 33 jours meurent dans les bombardements qui ne visent ni le Hezbollah ni ses structures de ravitaillement. Les domiciles de dizaines de milliers de Libanais n’ayant rien à voir avec le parti sont aussi bien pris pour cible que ceux des cadres de l’organisation. Il semblerait d’ailleurs que l’armée israélienne par ses bombardements voulait faire pression sur le Hezbollah en appliquant une sorte de punition collective, montrant du coup son incapacité à gérer et à contrôler ce conflit. D’une façon générale et selon la conclusion du rapport d’enquête WINOGRAD rendu publique en janvier 2007, sur la guerre de 2006 contre le Hezbollah, estiment que ce conflit pour Israël était je cite « un grand et grave ratage ». Toujours selon ce rapport, des graves manquements et au plus haut niveau de l’échelon politique et militaire ont été relevés.
La rapidité (pas plus de quelques heures 2 à 3 heures) avec laquelle Israël s’est lancé en représailles à l’opération de 2006 du Hezbollah montrait clairement qu’elle n’attendait qu’une excuse. Israël était prêt, à la guerre, son armée déjà amassée à la frontière libanaise. Cette guerre, Israël elle l’a voulu elle s’y est lancée sur base des rapports des services de renseignements sur le Hezbollah qui se sont avérés par la suite totalement erronés. Il apparaît clairement qu’Israël ne savait pas à qui elle faisait face. Cela s’est confirmé par ses pertes en vies humaines et militaires. Elles comptent parmi les plus élevés de toutes ces guerres menées.
Quant au Hezbollah, cette guerre qu’il a déclenchée suite à son opération du 12 juillet 2006 a confirmé que ce mouvement de la résistance a évolué et a pris une ampleur auquel nul n’a pensé. Le dirigeant du Hezbollah n’a cessé durant les années précédant cette guerre de 2006, vouloir libérer les prisonniers. Pour cela il lui fallait un atout de taille, raison pour laquelle il déclencha son opération ce mois de juillet sans pour autant s’attendre comme l’a rappelé son dirigeant à une riposte aussi disproportionnée et excessive de la part des Israéliens.
Cette guerre lui aussi la voulait, elle était elle aussi préméditée. Son objectif premier étant clairement défini : la libération de tous les prisonniers libanais dans les geôles israéliennes.
La guerre de 2006 c’était aussi un certain nombre de messages véhiculés par le Hezbollah. En montrant ses capacités, il donne de facto une idée des capacités de son parrain : la République Islamique d’Iran. Ces messages étaient une sorte d’avertissement à quiconque voulait s’aventurer à une guerre directe plus large.
Cette guerre a montré le nouveau visage du Hezbollah :
- Un nouveau type de combattant a été créé. Un combattant professionnel, rompu au combat, courageux et n’ayant pas peur de faire face à l’armée reconnue la plus puissante de la région.
- L’arsenal militaire a montré sur le terrain qu’il était capable de concurrencer ceux des Israéliens, le Hezbollah a prouvé détenir une technologie qui lui permettait de faire face à l’arsenal israélien et d’avoir la capacité de détruire ses matériels les plus perfectionnés (entre autres le tank MIR KAVA reconnu comme étant le meilleur au monde).
- Le Hezbollah a aussi montré sa capacité balistique à détruire partiellement ou totalement un des meilleurs destroyers au monde.
- Le Hezbollah a aussi montré qu’il avait les moyens d’abattre des drones israéliens survolant le territoire national.
- Ce qu’il a aussi et sûrement démontré c’est sa capacité de manier très subtilement l’outil audiovisuel ainsi que les réseaux sociaux. Il a su montrer ainsi l’art de manipuler l’image et le verbe, et de faire la guerre.
Au bout de 33 jours de guerre et après d’intenses tractations un cessez-le-feu fut déclaré avec, à l’appui la résolution 1759 demandant aux belligérants d’arrêter tout acte de guerre et de se retirer sur les positions d’avant le 12 juillet 2006. Les fermes de Chebaa pour le Gouvernement libanais sont toujours sous occupation sans oublier les 7 villages et les hauteurs de Kfarchouba. La résolution 1759 n’a absolument pas été suivie des 2 protagonistes. La première survolant le territoire Libanais sans interruption, afin soi-disant de collecter des informations afin d’assurer sa sécurité et de bombarder à partir du territoire libanais des positions syriennes ou iraniennes en Syrie. Le second, et ce d’après les sources israéliennes, continue à se préparer à toute future guerre en amassant des armes et fait suivre des formations militaires à ces combattants.
De fait, la guerre de 2006 ou toute autre future guerre avec les Israéliens n’est qu’une suite logique, tant qu’ils occupent un territoire qui ne leur appartient pas, le droit à résister à cette occupation est de mise selon le Hezbollah. Et par conséquent, la lutte continuera. Une chose est sûre, les évènements de ces dernières années dans la région ne peuvent que prédire une future guerre. Celle-ci n’apporte que chaos et destruction de part et d’autre et cette fois aucune excuse ne sera présentée, les deux protagonistes sont prévenus.
Finalement, 2006 n’est que le début d’un long et difficile chemin. Elle est, une introduction à la mise en place du nouveau Moyen-Orient. Elle est préméditée, elle est voulue. Les uns comme les autres sont les principaux acteurs, la mise en place peut commencer.
- Tarek Daher
- Novembre 2021
Le Paris diplomatique / ISSN 2563-818X (En ligne) – ISSN en cours (Imprimé)